
Ça fait maintenant quelques mois que le Café Moteur a ouvert ses portes au public et l’idée de raconter sa vie me trotte dans la tête depuis quasiment autant. Alors j’ai pensé que tenir un journal de bord pourrait être la bonne formule. Sans contrainte, sans pression, aux rares moments qui me laisseront un peu de répit, je vais confier ici les hauts et les bas du projet qui m’anime depuis quelques années déjà et pour lequel je me suis jeté à l’eau autour du 30 août 2023.
D’abord il serait bon de revenir en arrière pour bien placer les choses dans leur contexte : Tout ça a démarré il y a exactement dix ans, quasiment jour pour jour, en octobre 2013, je recevais les clés d’une maison beaucoup trop grande pour moi, avec beaucoup de trop de travaux à faire pour mon budget, mais qui avait la particularité d’avoir été un bistrot. Sans que je ne le réalise vraiment à ce moment là, quelque chose de mon passé venait d’être réveillé et parlait à mon insu à mon futur.
Quand j’étais môme, mon père et ma tante tenaient un café restaurant à Montbéliard dans le Doubs, j’y passais mes mercredi et certains de mes samedi. Je me souviens parfaitement du comptoir, des gens à moustache et à gauloise sans filtre qui s’y appuyaient, du gros distributeur de cacahuètes orange et jaune avec son autocollant déjà défraichi et surtout, du juke-box de marque Jupiter. Il trônait au fond de la salle, dos à la vitrine, entre deux piliers, je n’en suis pas certain, mais je crois que c’était un modèle Concorde avec une vitre peinte qui représentait la place du même nom et un système rotatif en arrière plan qui imitait les feux des voitures qui y circulaient. J’ai très souvent réclamé des pièces de un franc puis la clé pour ajouter des crédits afin de jouer les 45t qui me plaisaient à l’époque : Mungo Jerry, Pop Corn, Les Rubettes, Martin Circus etc… Tout cela remonte à plus de 50 ans mais il me semble que ça joué dans ma décision d’acheter cette maison, en ayant une idée derrière la tête.

Il ne fait que peu de doute que c’est la réminiscence de ce café qui m’anime depuis tout ce temps, après dix ans de réflexion après l’achat de la maison (oui je suis assez lent à la détente) j’ai enfin ouvert au public ma version de ce lieu de mon enfance. Je dois revenir un peu en arrière et expliquer ce que fût cette maison, même si je n’en connais pas toute l’histoire, je sais que cet endroit a quasiment toujours été un bistrot. Ici dans les environs d’Eclassan, tout le monde a entendu parler de « la Lea », madame Lea Forot pour être plus respectueux, la dame qui a tenu le bar, probablement dans les années 50 et 60, son fils Noel était boulanger de l’autre coté de la rue et sa belle fille a pris la suite jusqu’à leur retraite. Puis le fond de commerce a été loué, avec plus ou moins de bonheur jusque vers 2010 selon mes estimations. Je suis arrivé en 2013, c’était à l’abandon et tout portait les traces d’un manque total d’entretien, un royaume des crottes de rats et des restes aplatis de ces mêmes animaux, je vous épargne les autres détails. J’ai mandaté une société spécialisée dans les nettoyages compliqués pour assainir les lieux, les dix années qui ont suivi ont été consacrées à transformer l’étage et c’est devenu une habitation à peu près décente, isolée, chauffée et nettement plus vivable que ce que j’avais trouvé en arrivant.

Vers 2019 j’ai commencé à réfléchir à ce que pourrait devenir cet outil. Je voyais vraiment ça comme un outil, une maison, équipée d’un bistrot, comme certaines peuvent être affublée d’un atelier, d’une salle de concert ou d’un observatoire (oui j’en connais une). Pourquoi ne pas essayer, se lancer, ouvrir à nouveau ce lieu, le consacrer à devenir un point de rencontre, l’endroit où l’on va pour savoir ce qui se passe alentour. J’avais déjà pu profiter des bénéfices d’un tel commerce durant ma période marseillaise, parce qu’en arrivant là bas au début des années 2000, sans connaître grand monde, je ne savais jamais ce qui s’y passait, j’avais connaissance des concerts quelques jours après qu’ils aient eu lieu etc… Et puis un jour, je suis entré dans un lieu qui est à la fois magasin de disques, librairie et où l’on peut boire un café, mais surtout, qui dispose d’un présentoir à flyers qui prend un tiers de l’espace (j’exagère un peu, mais c’est à Marseille, il faut recréer le contexte). Tout ce qui se faisait comme concert, expo, manifestation et autres actions culturelles se trouvait sur ce présentoir. Ce magasin de disques, de livres et globalement pourvoyeur de culture à Marseille s’appelle Lollipop Music Store et je vous conseille d’y passer. Ma vie changeait du jour au lendemain, j’avais envie de recréer ici, au Nord de l’Ardèche ce genre de point central, ce moteur de rencontres et d’échanges qui aurait l’ambition de redonner un peu de vie à un milieu rural déjà pas bien réveillé que les circonstances allaient encore un peu malmener.

Suite à toute cette réflexion, étant en rupture de ban avec la presse depuis fin 2017 et le dernier exemplaire du magazine que j’avais créé (cf RAD magazine) j’ai commencé sérieusement à monter mon dossier. Rien n’était prêt dans le bar, les travaux de chauffage et d’isolation de la maison avaient permis de refaire un plafond bien propre que les visites estivales des amis de Belfort avaient peint en blanc. Mais il fallait tout équiper, trouver des tables, des chaises et remplacer l’horrible comptoir plein de crottes de rats que j’avais réussi à faire dégager quelques années plus tôt. Comme une évidence, c’est la reccup et le vintage qui seraient de la partie, des tables en formica chinées sur les brocantes, un lot de chaises rouges et blanches dans le même ton et un très joli comptoir de bar arrondi aux deux extrémités. Rien que l’arrivée de ce meuble fut une aventure, d’abord je l’avais repéré sur le bon coin, un petit café des environs de Lyon devait être démoli pour que les poids-lourds puissent se croiser dans les rues étroites de ce petit village. Nous sommes donc partis, avec mon pote Phiphi, en visite chez moi pour quelques jours, dans mon fourgon Volkswagen T4 jusqu’à Saint-Laurent-d’Agny, au sud-ouest de Lyon, ce charmant petit café devait être vidé avant sa démolition, nous l’avons donc soulagé de son comptoir. Ca n’a pas été simple, il a fallu 6 bonhommes pour le hisser dans le fourgon et O miracle il tenait dedans au centimètre près.


